Austin, Quand dire c’est faire

Points de repère

Plus loin


Source : J.L Austin, « Quand dire c’est faire », 1962.

« Je te prends pour épouse » , cette phrase est plus qu’une description de la réalité, c’est une action. Les mots ont une action. Voilà le sujet de J.L. Austin.

Le langage décrit la chose, l’énonce. Il est extérieur au réel, et a une valeur énonciatrice. La découverte d’Austin, philosophe anglais, est ce qu’on appelle « les énonciations performatives ». Lorsque je dis « oui, je te prends pour épouse », il ne s’agit pas de décrire une chose, ou faire un reportage sur le mariage, mais il s’agit d’un acte. On ne décrit pas l’état des choses, mais on modifie l’état des choses et du monde. S’unir à jamais avec l’être aimé.

Austin découvre la distinction entre les 2 jeux de langage : le constatif et le performatif.

En ce sens, il ouvre une nouvelle réflexion sur la communication qui  n’est pas qu’échange des messages, des informations, mais produire le monde.

Sa première conférence part de l’histoire des philosophes qui se limitaient à définir si une chose est vraie ou fausse ; qu’il n’y a qu’affirmation [ statement ] qui ne pouvait que « décrire » un état des choses. Austin découvre que parler, c’est agir.

Pour les philosophes, certaines affirmations, douteuses, étaient reléguées au « non sens ». Il s’agit des affirmations, avec les auxiliaires « pouvoir » ou « devoir », souvent des phrases à la 1ere personne du singulier de l’indicatif présent. Austin considère qu’à force de les mettre de côté, ces affirmations douteuses doivent être analysées…

Catégorisation des énoncés performatifs.

« on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui pourtant :

A)     Ne décrivent, ne rapportent, ne constatent absolument rien, ne sont pas vraies ou fausses ; et sont telle que

B)      L’énonciation de la phrase est l’exécution d’une action ( ou une partie de son exécution ) qu’on ne saurait décrire tout bonnement comme étant l’acte de dire quelque chose.

Exemples :

E, a ) : Oui [ je le veux ] ( c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime ) ; ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie de mariage.

E, b) : « je baptise ce bateau le « Queen Elizabeth », comme on dit lorsqu’on brise la bouteille contre la coque.

E, c) : «  je donne et lègue ma montre à mon frère », comme on peut lire dans un testament .

E,d) : «  je donne et lègue six pence parce qu’il pleuvra demain ».

Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase ( dans les circonstances appropriées, évidemment ) , ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. »

Les énonciations ne sont ni vraies ni fausses. Austin appelle ces énonciations comme phrase performative , dérivé de l’anglais « perform », action.

D’autres termes sont possibles : énonciations « contractuelles » ( « je parie »), ou déclaratoires ( « je déclare la guerre »). Voire l’impératif.

Prononcer ces mots peut être capital ( comme le message ou la déclaration de guerre ).

Austin insiste que les circonstances doivent être appropriées. Pour se marier, il faut que je ne sois pas déjà marié ( au sens chrétien ). Pour déclarer la guerre, il faut que je sois bien la personne appropriée ( un chef d’état ). Pour un pari, il faut qu’il y ait un partenaire qui l’accepte ( je dis « d’accord » par exemple ). Austin précise encore que ces mots doivent être prononcés « sérieusement », et qu’il s’agit d’un acte intérieur, voire spirituel. «  Notre parole, c’est notre engagement ».

Austin parle des conditions de « malheurs » ( infelicities ) que rencontrent les propositions performatives. Lorsque les conditions ou contexte ne sont pas réunis, ces propositions sont « malheureuses » car déplacées, sans action. Par exemple, si la phrase « la scéance est ouverte » est prononcée par le président autorisé de l’assemblée, un nouvel état au monde apparaît ( la réunion débute ). Par contre si c’est le pompier de service qui l’annonce, la proposition performative est nulle.

L’énonciation vraie ou fausse de ces affirmations n’a pas lieu d’être. « en aucun cas nous ne disons que l’énonciation était fausse », mais plutôt que l’énonciation ou mieux l’acte ( la promesse par exemple ) était nulle et non avenue [void], ou non exécutée.

La découverte des énonciations ( et non des énoncés ) performatives a eu un grand retentissement, à l’époque, et une grande influence de John L. Austin ; bien que ce philosophe anglais soit mort à 48 ans.

Le pouvoir des mots, ou l’insulte comme agression.

L’insulte est une expression, un comportement dégradant, offensif vers celui à laquelle on l’adresse.

L’insulte est en ce sens un acte performatoire : celui qui veut insulter veut déstabiliser, anéantir celui à qui l’insulte est adressée. Et c’est le cas, souvent. A « Sale Pédé », ou « Sale noir », ou « salope », l’insulté intègre ces mots, et le change même physiquement : peur ,  suée, colère.

Les mots ont ainsi une valeur d’action réelle, ici évidemment nuisible.

On lira le texte associé à l’insulte comme acte dégradant et productif d’une réalité soumise : L’insulte ? réagir.

8 réflexions au sujet de « Austin, Quand dire c’est faire »

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  3. babaya59

    les grands kabalistes se méfiaient du langage car ce qui est dit une fois se réalisera toujours, voir l’histoire du « dibouk » et le film merveilleux qui en fut tiré

    austin l’a bien senti, parler c’est construire un état du réel qui statistiquement peut et va se réaliser, là intervient le hasard quantique lié à l’observation, cad assiterons nous à l’observation? ou qq d’autre

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    1. zeboute Auteur de l’article

      Austin s’était arrêté aux actes purement performatoires, mais peu sur la prédictive irrationnelle de nos actes. Plutôt de manière raisonnée que de façon incarnée comme le dibouk.

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