Habermas et l’espace public

Dans le domaine de la théorie de la communication, Jürgen Habermas fait référence. Philosophe, rattaché à l’école de Francfort, Habermas a largement influencé les recherches françaises, notamment autour de la notion de « l’espace public ». Les thèses de Habermas sont souvent obscures, et nous trouverons ici quelques éléments de synthèse.

La sphère publique.

Habermas caractérise la construction de la « sphère publique » au XVIIIieme siècle. La sphère publique fait suite à un mouvement de privatisation ( dans le sens du domaine « privé » ) à l’intérieur des sociétés occidentales.  Elle met en œuvre une communication entre des personnes privées, qui vont se constituer en tant que public.

Caractéristique de cette sphère publique :

Elle est d’abord politique :

Elle constitue un espace de discussion qui échappe à l’emprise de l’état. Elle le met d’ailleurs parfois en cause par les critiques qui se constituent au cours des échanges d’opinion. Au cours de ces échanges, c’est l’exercice critique de la raison qui prévaut. Seule la force du meilleur argument est censé prévaloir.

Elle est ensuite une sphère publie bourgeoise :

Elle rassemble ceux qui possèdent des biens, et une culture leur permettant d’intervenir véritablement sur des sujets débattus. Elle en exclut le peuple, considéré comme privé des compétences qui lui permettraient de faire un usage du raisonnement.

En résumé, cette sphère publique doit rassembler les représentants éclairés de ceux qui ne peuvent pas prendre part au fonctionnement de cet espace où se manifeste pourtant l’opinion publique.

Le nouvel espace public.

Habermas montent que des couches non bourgeoises pénètrent peu à peu cette sphère publique. D’abord favorable à l’opinion publique, les libéraux vont la condamner. Pour eux, l’opinion publique risque d’exprimer simplement la domination des masses et des médiocres. De plus, l’exercice de la raison laisse place à l’existence de la manipulation.

La sphère publique assurait une fonction de médiation entre l’Etat et la société. Les associations, syndicats et partis ne font plus désormais que d’obtenir l’assentiment du public « vassalisé », en utilisant les médias et le marketing politique.

L’arrivée des nouveaux médias ( la photographie en 1839, le cinéma en 1895 , la radio en 1917 .. ) permet la diffusion en masse de la communication. Et ses aspects « indiciels » ( la voix, la parole ) détournent l’esprit de la raison. L’exercice de la raison se pratiquant par l’esprit, le livre, les journaux. Le livre, objet pauvre sensoriellement, permettait au leecteur d’intérioriser sa conscience, en concernant celle-ci sur le seul contenu de l’ouvrage. Le livre isole en effet le récepteur du message, sans intéragir avec celui qui l’ écrit. Les médias courcircuitent ainsi la raison par des raccourcis sensoriels. Par l’émotion, la persuasion, plutôt que l’explication rationnelle et logique.

Limites de l’espace public d’Habermas.

La  pensée d’Habermas a largement été commentée ; et critiquée :

–          Il dévoile une fascination pour l’arène parlementaire, et un valorise un espace public bourgeois supposé être le modèle de la démocratie, alors qu’il reposait sur l’exclusion de l’essentiel de l’humanité ( les femmes, les jeunes, les milieux populaires ..).

–          Il néglige que la construction sociale se fait sur le domaine privé et public, sans frontière absolue.

Théorie de l’Agir communicationnel.

[ 1981 ]

L’une des forces du chercheur allemand est sa capacité à accepter la critique et n’hésite pas à abandonné « la perspective chagrine » qu’il a adopté ( note-t-il dans la préface de l’Agir communicationnel ). Il réfute sa thèse de l’abrutissement du public et de la supériorité de l’espace public bourgeois ; au profit de la théorie des actes communicationnels.

Habermas construit sa thèse, par une discussion de la théorie sociale de Weber :

Les quatre idéaux-type de Weber sont les suivants, classés par ordre croissant de rationnalité ; ils caractérisent l’action dans la communication :

–          L’habitude : on ne sais pas pourquoi on se conforme à une routine, mais on s’en donne les moyens.

–          L’affect : en plus des moyens, on attribut une fin à l’action.

–          Les valeurs : l’action est guidée par du sens, mais sans tenir compte des conséquences des actes.

–          L’action rationnelle en finalité : on s’attache aux conséquences, en sus des moyens, fins et valeurs.

Selon Habermas, il faut étudier les réseaux d’intéractions dans une société faite de relations communicationnelles. « l’union dans la communication de sujets opposés ». Il définit :

–          « L’agir instrumental » : il vise purement la technique ; il est efficace mais vide de sens. Il s’agit des médias froids ( « facebook », « twitter »  ).

–          « L’agir stratégique » : c’est la raison et l’action à visée étroitement égoiste, utilitaire ; les médias de masse en constituent le dispositif privilégié. Habermas oppose d’autres modes d’actions ou de rapport au monde :

–          « l’agir communicationnel » : il s’agit de l’action objective, cognitive qui s’impose de dire le vrai. L’action qui vise la justesse morale de l’action ; l’action expressive qui suppose la sincérité. Ici il s’agit d’une recherche d’une définition commune de situations.

« Les actes humains comportent tous les niveaux, sans qu’il n’y ait de divorce entre eux. Nous habitons en même temps tous les mondes, qui veut dire le travail industriel, la politique, .. ».

Si les raisons souffrent, ce n’est pas en raison de l’existence d’une incompatibilité entre rationalité/sens, bureaucratie/éthique, capitalisme/vie sociale, mais en raison d’un déséquilibre entre la puissance de l’instrumental ( dirigé par le pouvoir économique et technocratique ) et le monde vécu. L’espace public n’est plus la panacée du pouvoir institutionnel mais il est l’ensemble de la société civile et des médias de masse. Où chacun peut contribuer.

Ce nouvel espace public doit être un espace public de débat, ouvert à tous, mais comportant des experts. La légitimité de la parole, le « vrai » dans l’agora de notre communication se construit sur des pratiques argumentatives, liées à des actions communicationnelles des activités d’interprétation des individus et des groupes sociaux.

Pour Habermas, la rationalité n’a pas trait à la possession d’un savoir, mais à la façon dont les sujets doués de parole et d’action acquièrent et emploient un savoir.

6 réflexions au sujet de « Habermas et l’espace public »

  1. marouen

    chaque théorie comprend des ruptures mais cette théorie de habermas selon mon point de vue a touché plusieurs cotés de domaine de communication et le pouvoir médiatique dans un espace publique bien determiné et ca l’essentiel
    et mieux que la théorie fonctionnaliste qui est plus large et vague

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